Pour un problème d’éthique, le parlement européen vient de recaler la candidature de Mme Sylvie Goulard à un poste de commissaire européen. Le plus étonnant dans cette affaire est que notre gouvernement ait pu proposer, sans se poser la moindre question, la candidature d’une personne soupçonnée de prise illégale d’intérêts et d’emplois fictifs. Ces notions semblent en effet relativement étrangères à la classe politique française.
Ce qui est vrai au niveau national semble encore plus vrai au niveau local. Depuis des décennies ces situations de conflit d’intérêts et de prise illégale d’intérêts sont en effet monnaie courante. A tel point qu’elle paraissent désormais ne plus choquer personne. L’épisode Sylvie Goulard est donc l’occasion de rappeler quelques éléments juridiques sur ce sujet.
Droit pénal
Le délit de prise illégale d’intérêts est défini par l‘article 432-12 du Code Pénal comme le fait pour un élu de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont il a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement.
La notion d’intérêt quelconque recouvre bien entendu les intérêts financiers et avantages en nature d’ordre privé, mais aussi les avantages d’ordre politique ou moral indirects. Ainsi il est de jurisprudence constante qu’un élu, par ailleurs administrateur d’une association, soit condamné pour avoir voté une subvention tout à fait classique à son association.
Pour un élu, c’est bien la situation de conflit d’intérêts qui est condamnable. Le juge pénal n’exige pas la démonstration d’une intention frauduleuse ou la preuve d’une recherche d’avantage personnel pour que le délit soit constitué. Par respect pour la démocratie, les décisions prises par les élus ne doivent en aucun cas pouvoir être suspectées de partialité. On notera également qu’en droit pénal il n’est pas nécessaire que l’intérêt pris par le prévenu soit en contradiction avec l’intérêt général pour que le délit soit constitué.
Les exemples sont nombreux, en voici quelques uns bien caractéristiques :
- Le fait pour un adjoint à l’urbanisme de se faire embaucher par le bureau d’études auquel il passe des marchés dans le cadre de l’élaboration du PLU de sa commune constitue une prise illégale d’intérêts manifeste.
- Il en est de même de l’élu qui intervient en faveur de l’extension d’une carrière alors qu’il travaille comme sous-traitant pour l’entreprise exploitant cette carrière.
- Il en est de même de l’élu qui, lors de l’élaboration du PLU, demande un droit dérogatoire à construire dans une zone agricole, participe au vote de la délibération d’approbation du PLU et intervient dans le débat pour justifier sa demande.
Le délit de prise illégale d’intérêts est puni de 5 ans de prison et d’une amende de 500.000 Euros. Voir également De la responsabilité pénale des élus
Ne serait-il pas temps de faire cesser ces pratiques ?
Droit administratif
La situation de conflit d’intérêts est définie par l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.
L’article 1 de la même loi demande aux élus de prévenir ou faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts.
Le non respect de ces dispositions peut entrainer l’annulation des délibérations concernées par le juge administratif. L’article L2131-11 du Code Général des Collectivité Territoriale précise en effet que : sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires.
La prévention des conflits d’intérêts
La prévention des conflits d’intérêts passe par l’exercice d’une transparence totale. Certaines mesures de prévention sont précisées par le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014
- Les élus potentiellement concernés par une situation de conflit d’intérêts sont tenus de le faire savoir au maire. Ils doivent s’abstenir d’intervenir dans l’instruction et dans la délibération de l’affaire en question.
- Les élus titulaires d’une délégation de signature doivent informer par écrit le maire de leur situation.
- Le maire prend alors un arrêté de déport précisant les sujets sur lesquels la personne concernée (éventuellement lui-même) doit s’abstenir d’intervenir et la personne désignée pour la remplacer.
Pour en savoir plus
- L’élu local et la prise illégale d’intérêts une synthèse à destination des élus par la préfecture du Loiret
- Conflits d’intérêts et délit de prise illégale d’intérêts une note très complète de la caisse des dépôts
- Le diaporama_de l’ADGCF sur les conflit_d’intérêts (association des directeurs généraux des communautés de France)
- La prévention des conflits d’intérêts en matière d’urbanisme : s’abstenir de participer au vote d’une délibération ne suffit pas. Il convient de ne pas participer au processus de préparation de la délibération, y compris en commission et pour la définition de l’ordre du jour du conseil municipal.
- Article Dalloz actualité : jurisprudence alertant sur les risques liés aux interférences avec la sphère amicale
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